Climat & agroécologie

En tant que co-responsable du changement climatique, l’agriculture doit faire partie de la solution. En effet, les agriculteurs et agricultrices font partie des personnes qui le ressentent et le subissent déjà. Ce qu’il faut, ce sont des transformations du côté de la production et de la consommation qui, d’une part, augmentent la résilience des systèmes agricoles, favorisent la biodiversité et, d’autre part, minimisent les émissions de gaz à effet de serre. L’agroécologie indique ici une voie globale.

Agriculture en mosaïque : multifonctionnelle pour un système de culture résilient. Photo: vidéo de campagne Prix Climat, 2022
Agriculture en mosaïque: multifonctionnelle pour un système de culture résilient. Photo: vidéo de campagne Prix Climat, 2022

Avec 36 % de l’ensemble de la surface de la Suisse qu’elle exploite, l’agriculture est le principal utilisateur de surfaces. Ce sont pour environ 2/3 des prairies et des terres assolées, et 1/3 sont utilisées à des fins d’économie alpestre. Sur ces surfaces, les paysan·ne·s travaillent directement sur et avec les ressources naturelles comme le sol, l’eau ou la biodiversité. Ils sont liés au système alimentaire par les denrées qu’ils produisent. Cela explique le rôle central du secteur agricole et ses multiples défis dans le contexte de la crise climatique.

L’agriculture évolue dans un environnement climatiquement extrême et de plus en plus incertain. Des stratégies sont nécessaires d’une part pour accroître la résilience des systèmes agricoles, et d’autre part pour minimiser les émissions de gaz à effet de serre. Les approches holistiques telles que l’agroécologie montrent la voie. Aussi central que soit le rôle de l’agriculture, l’ensemble du système alimentaire doit prendre ses responsabilités si on veut un réel changement fondamental, y compris la transformation, le commerce et la consommation.

Changement climatique – faire partie de la solution

Selon l’inventaire des gaz à effet de serre de la Confédération, 14 % des émissions des gaz à effet de serre en Suisse proviennent directement de l’agriculture. Ce sont principalement les émissions de méthane (CH4) et de protoxyde d’azote (N2O) qui sont à mettre sur le compte de l’agriculture. L’agriculture est donc en partie responsable du changement climatique, en particulier l’agriculture industrielle.

Le secteur agricole est ainsi responsable de la plus grande part des émissions domestiques de méthane (83 %) et de protoxyde d’azote (66 %).

  1. Méthane de la digestion des animaux de rente;
  2. Protoxyde d’azote provenant des sols: l’augmentation du protoxyde d’azote, avant tout par la fertilisation des terres agricoles;
  3. Émissions de protoxyde d’azote et de méthane provenant du stockage et de l’utilisation d’engrais de ferme.

En outre, il y a d’autres processus qui génèrent des émissions et sont associés à la production agricole, et qui ne sont pas directement attribués à l’agriculture: les émissions de CO2 provenant de la combustion de carburants et de combustibles fossiles dans les machines agricoles et les bâtiments, ainsi que les émissions de CO2 provenant des sols, même si les sols ont également une importance certaine pour en absorber.

Toutes les émissions à l’étranger, produites lors de la production et du transport des moyens de production importés (aliments pour animaux et engrais minéraux), ne figurent pas dans l’inventaire de la Suisse.

En Suisse, la température annuelle moyenne a augmenté d’environ 2°C (état 2020) depuis 1984, pour l’essentiel au cours des dernières décennies.

Cela signifie des étés plus secs, des précipitations plus violentes, des hivers avec moins de neige et des jours de canicule. Outre ces événements extrêmes toujours plus fréquents, on observe des changements progressifs des paysages et des écosystèmes. Les glaciers fondent, la période de végétation se décale, la composition en espèces de la flore et de la faune se modifie. Ces changements ont à leur tour une influence sur la disponibilité des ressources telles que le sol, l’air, l’eau et la biodiversité.

  1. Avec les changements des régimes de précipitations et la disparition des glaciers, la disponibilité en eau se modifie au cours de l’année avec dans le même temps un taux d’évaporation plus élevé. L’effet de compensation de la fonte des glaciers en été disparaît de plus en plus. La qualité de l’eau et la formation des nappes phréatiques connaissent également des modifications. L’eau va devenir une ressource précieuse car d’une part sa disponibilité effective va se raréfier, et d’autre part elle sera demandée en quantité encore plus grande en raison de l’augmentation de la chaleur et de la sécheresse. Et pas seulement pour l’agriculture.
  2. L’effet le plus important du changement climatique sur le sol est l’augmentation de l’érosion due aux précipitations plus fréquentes et plus intensives. On s’attend aussi à des changements dans la composition de l’humus qui pourraient avoir des impacts sur le stockage de CO2.
  3. Concernant la biodiversité sont attendus des changements dans la saison de croissance de la végétation, des modifications des habitats et donc de la répartition des espèces, mais aussi l’immigration de nouvelles espèces, de ravageurs et de maladies.

Le changement climatique entraîne d’une manière générale un déplacement des zones favorables à la production agricole et apporte autant son lot d’aspects positifs que négatifs. La hausse de la température depuis 1950 s’est accompagnée d’un début toujours plus précoce de la période de floraison des plantes des prairies et des dates de fauche.

La hausse de la température a également été importante pour la faune. Cela a favorisé le développement de nombreux organismes nuisibles, en particulier du fait d’hivers plus doux. La tendance à la hausse des températures des dernières années s’est accompagnée d’une forte variabilité des conditions météorologiques. Un risque entretemps élevé de dommages dus à des événements extrêmes y est associé.

L’adaptation au réchauffement mondial (adaptation) vise à faire face aux changements du climat qui se sont déjà produits et à s’adapter aux changements attendus afin d’éviter autant que possible des dommages ou de saisir les opportunités qui se présentent. Pour rendre l’agriculture suisse plus résistante à un environnement plus imprévisible et climatiquement plus extrême, des adaptations sont nécessaires dans les domaines suivants:

  1. Augmentation de la résilience par la diversification, la diversité et la multifonctionnalité, tant au sein de l’exploitation qu’entre les exploitations et pour l’agriculture dans son ensemble;
  2. Animaux et espèces végétales robustes et adaptées au site, ainsi que communautés de plantes et d’animaux et un vaste mélange de variétés d’une espèce avec différentes résistances à la chaleur, à la sécheresse et aux conditions humides;
  3. Agriculture qui crée et protège les habitats; les systèmes agroforestiers qui associent des arbres, des buissons, des cultures et l’élevage ainsi que d’autres cultures mixtes donnent de bons résultats;
  4. Irrigation efficiente et amélioration de la résistance face à la sécheresse;
  5. Systèmes et méthodes du cultures qui ménagent les ressources;
  6. Explications, conseils et informations sur les défis à relever et les possibilités d’action.

L’adaptation au réchauffement climatique mondial n’est pas indéfiniment possible. Il existe des limites pour certains systèmes humains et écologiques qui sont déjà atteintes avec un réchauffement de la planète de 1,5 degré. De plus, plus la température augmente, plus la capacité d’adaptation continue à diminuer.

Des stratégies d’atténuation sont donc urgentes et indispensables. Elles font partie de la protection du climat, qui englobe toutes les mesures destinées à contrer ou à atténuer le réchauffement et ses conséquences potentielles (mitigation). L’élément central de la protection du climat est la réduction drastique des émissions de gaz à effet de serre.

  1. Utilisation responsable et efficiente des ressources disponibles ou renouvelables (substitution des énergies fossiles);
  2. Évitement des systèmes de production gourmands en ressources et indépendants du sol, comme par ex. l’élevage industriel;
  3. Feed no food: Agriculture lié au sol et basée sur les herbages; utilisation des surfaces pour la production animale qui ne peuvent pas être consacrées à la culture des champs, comme par ex. des surfaces herbagères sur des pentes raides;
  4. Adaptation de la charge en bétail à l’offre en fourrage disponible par rapport à la capacité des sols (économie circulaire); l’élevage de ruminants basé sur les herbages est nettement plus performant que les systèmes avec de fortes rations d’aliments concentrés;
  5. Espèces animales et végétales adaptées au site, robustes et persistantes;
  6. Planification minutieuse de la rotation culturale et de la fertilisation azotée (efficience de l’azote); la rotation culturale doit être adaptée aux conditions de production naturelles (climat, topographie, propriétés du sol) de chaque site et être optimisée en termes d’efficience des nutriments et des ressources.

Une utilisation durable du sol constitue un autre pilier d’un système de production qui se veut respectueux du climat. Avec une gestion des sols préservant l’humus, l’agriculture peut même contribuer à une augmentation du stockage du carbone. L’objectif: mettre le carbone disponible dans la biomasse et qui n’a pas été évacué par la récolte, en une forme aussi stable que possible afin qu’il soit stocké le plus longtemps possible dans le sol. L’utilisation de charbon végétal, en tant que moyen d’améliorer l’enrichissement du sol en carbone, est encore étudiée. En même temps que les activités pour favoriser l’humus, les réserves de carbone déjà présentes dans le sol doivent être utilisées. Il s’agit ici des sols tourbeux qui doivent, s’ils sont exploités, l’être de la manière la plus extensive possible.

En combinant avec un changement correspondant du comportement des consommateurs vers une alimentation se basant vers plus de denrées d’origine végétale et moins de gaspillage alimentaire, une réduction significative des émissions de gaz à effet de serre serait possible.

Agroécologie – Un objectif global

Comment rendre notre approvisionnement alimentaire résistant à la crise? À l’évidence, une production encore plus intensive reposant sur des importations d’aliments pour animaux, de pesticides et d’engrais chimiques n’est pas la voie à suivre. Il est temps de s’attaquer de manière globale aux problèmes que le système alimentaire actuel a engendrés. L’agroécologie est l’une des approches possibles.

L’agroécologie se fonde sur des valeurs écologiques, sociales et culturelles qui sont ancrées depuis toujours dans l’agriculture traditionnelle:

  1. Préservation et promotion de la biodiversité: la diversité des plantes, des animaux et des micro-organismes renforce la résilience des agrosystèmes.
  2. Économie circulaire et préservation des ressources: les nutriments, l’eau et l’énergie sont utilisés localement et efficacement.
  3. Préserver la fertilité des sols: Un sol sain est la base d’une agriculture durable.
  4. S’adapter aux conditions locales: L’agroécologie s’adapte au climat, à la culture et aux connaissances paysannes locales.
  5. Justice sociale et autodétermination des paysans: les petits paysans, les femmes et les communautés indigènes doivent pouvoir organiser leur production de manière autonome.
  6. Chaînes de création de valeur courtes: les marchés régionaux et le contact direct entre les producteurs et les consommateurs renforcent les systèmes alimentaires locaux.
  7. Intégration de la tradition et de l’innovation: des méthodes éprouvées sont combinées avec de nouvelles connaissances.

Ensemble, elles constituent le fondement d’une agriculture viable, socialement intégrée et écologiquement responsable.

 

D’une part, l’agroécologie est une recherche scientifique qui aborde l’agriculture et le système alimentaire de la manière la plus large et la plus complète possible, en intégrant notamment des méthodes de culture locales ou des approches telles que l’agroforesterie. D’autre part, l’agroécologie est ancrée dans la pratique agricole, dans la construction de sols sains, d’exploitations diversifiées et résistantes avec une population locale et des circuits fermés. Ce faisant, les bases naturelles de la vie ne sont pas seulement préservées, mais aussi développées à long terme. Enfin, l’agroécologie comporte également des aspects sociaux. Le système agroalimentaire doit être équitable et durable. Il doit garantir des revenus équitables et de bonnes conditions de travail et permettre de raccourcir les distances entre les producteurs et les consommateurs.

Articles de notre magazine sur l’agroécologie dans la pratique: