Transmettre des fermes plutôt que les disloquer

Quiconque s’intéresse aux transmissions de fermes extra-familiales en Suisse ne peut faire fi des obstacles financiers, juridiques et sociaux. Le cadre légal protège les terres agricoles de la spéculation, mais présente aussi des obstacles à la remise de ferme extra-familiale. Heureusement, les choses bougent et laissent entrevoir un espoir.

Être prêt·e à faire des compromis constitue la base d’une transmission de ferme réussie. Photo : Silvan Mahler
Toujours moins d’exploitations, toujours plus grandes, cela signifie de moins en moins d’exploitations à reprendre. Illustration : Christof Stückelberger

Depuis la fondation de l’Association des petits paysans en 1980, le nombre d’exploitations et de personnes actives en agriculture a diminué de plus de moitié. En moyenne ces 43 dernières années, 1319 exploitations ont cessé leur activité chaque année, soit 3,6 par jour (OFS 2024). Ce sont surtout les petites et moyennes exploitations qui disparaissent. Le nombre d’exploitations de plus de 30 ha et la surface moyenne par exploitation continuent d’augmenter. En même temps, la pyramide des âges des exploitant·es s’est déplacée vers le haut ces dernières décennies. Actuellement, 55 % des exploitations sont dirigées par des personnes de plus de 50 ans. Il ne va plus de soi qu’une ferme reste exploitée au sein de la famille de nos jours. À l’âge de la retraite, les chef·fes d’exploitation ne reçoivent plus de paiements directs et choisissent souvent le morcellement et louent ou vendent leurs terres. Les exploitations voisines s’arrachent généralement ces terres en raison des paiements directs liés à la surface. Il ne reste plus que des maisons d’habitation réaménagées à grands frais ou des demi-ruines, et des exploitations toujours plus grandes.

Des alternatives existent

Parallèlement, de plus en plus d’agriculteur·trices bien formé·es souhaitent gérer une ferme de manière indépendante. Le nombre croissant de diplômes professionnels agricoles et d’inscriptions au Point de contact pour remise de ferme extra-familiale de l’Association des petits paysans en est la preuve. Nous mettons ainsi en contact depuis plus de dix ans des personnes en recherche et des exploitant·es sans successeur au sein de la famille, et nous offrons un premier conseil gratuit. Depuis la création du Point de contact, environ 350 personnes cédantes et 700 repreneuses se sont adressé·es au Point de contact pour une transmission ou un conseil. Une quarantaine de fermes ont ainsi été remises avec succès par notre intermédiaire.

Connaître sa propre marge de manœuvre

Pour les cédants et cédantes, les principaux obstacles sont souvent la prévoyance, les incidences fiscales, le logement et le processus émotionnel de détachement (lire notre article ici). Avant de chercher un·e repreneur·se, il faut donc examiner l’intérêt potentiel d’une succession au sein de la famille, les besoins vitaux de la génération cédante, et l’importance accordée au maintien de l’exploitation.

Si la volonté et la possibilité sont là de transmettre l’exploitation en tant qu’entité, il y a plusieurs options. L’affermage est attrayant car la décision est moins définitive. Il faut cependant s’assurer au préalable que le fermage permettra de payer les intérêts, les assurances, les impôts et les principales réparations sur le bâtiment, et de rembourser les dettes. Aucune prévoyance ne peut être retirée de la ferme. Une vente est définitive mais peut soulager énormément, réglant la prévoyance et permettant une situation indépendante concernant le logement. Une autre solution consiste en un mélange entre vente et bail à la ferme. Les bâtiments sont alors vendus en droit de superficie sur le long terme et les terres associées sont affermées pour la même période. Les fermier·ères peuvent ainsi investir dans les bâtiments et demander des crédits d’investissement. Une vente en droit de superficie est plus avantageuse pour les repreneur·ses mais reste une solution à long terme. Il n’existe toutefois pas de solution universelle. Chaque situation doit être considérée individuellement.

Qui peut se le permettre

Contrairement à certains pays voisins (lire notre article ici), les terres agricoles sont assez bien protégées en Suisse contre la spéculation et le changement d’affectation grâce à la loi fédérale sur le droit foncier rural LDFR. Selon le principe d’exploitation à titre personnel l’acquisition n’est possible que pour les personnes physiques capables de cultiver elles-mêmes les terres agricoles. Cette réglementation et celle des prix protègent les entreprises et immeubles agricoles contre les prix excessifs. Mais le droit foncier rural a été créé pour favoriser les « entreprises familiales » et la transmission intrafamiliale : les descendants achètent l’entreprise à la valeur de rendement, tandis que les personnes hors de la famille paient la valeur vénale, pouvant atteindre 2 à 7 fois la valeur de rendement selon les régions. Pour l’achat, la participation de créanciers dans des hypothèques ou gages immobiliers est limitée par la charge maximale à 135 % de la valeur de rendement. Il s’agit ainsi de financer un écart important entre la charge maximale et le prix de vente. En plus des fonds propres, il est possible de recourir aux héritages anticipés, aux prêts de la Confédération, de fondations ou de proches, aux cautionnements ou au financement participatif. Jusqu’au 35e anniversaire, des prêts sans intérêts, remboursables dans un délai maximal de 14 ans, peuvent être sollicités. Leur montant dépend de la taille de l’exploitation (UMOS). Garantir la viabilité de l’exploitation est donc aussi important. Sur une même exploitation, ce qui est suffisant pour un couple âgé sans gros investissement peut s’avérer inadéquat pour une jeune famille. La tendance à des exploitations toujours plus grandes et à forte intensité de capital rend les reprises plus difficiles.

Des raisons de garder confiance

La Ferme de la Croix-De-Luisant (VD) a été remise avec succès en de nouvelles mains. Photo : Anne Berger

Porte ouverte à l’espoir : une à deux personnes s’annoncent chaque semaine au Point de contact pour remise de ferme extra-familiale avec la volonté de transmettre leur exploitation comme entité. La poursuite de l’œuvre de leur vie revêt pour elles beaucoup d’importance. Des compromis sont alors possibles, comme déménager dans un autre logement. De même, deux à trois personnes par semaine s’inscrivent auprès du Point de contact à la recherche d’une ferme, désireuses de poursuivre avec respect ce qui leur est transmis, prêtes à accepter des charges financières parfois élevées. La révision partielle en cours de la LDFR est un autre motif d’espérance. Certaines adaptations pourraient faciliter la transmission de ferme extra-familiale. Il est question d’augmenter la charge maximale pour les hypothèques à 150 % de la valeur de rendement et de rendre possible le partage matériel d’une exploitation pour créer deux entreprises agricoles avec chacune un centre d’exploitation. Cela augmenterait le nombre d’exploitations disponibles pour une transmission. Une clarification et une uniformisation de la réglementation relative à l’acquisition par une SA ou une Sàrl sont aussi prévues, ce qui faciliterait l’accès à la terre à des groupes. De plus, la diversité des organisations partenaires et des conseiller·ères qui soutiennent le Point de contact pour remise de ferme extra-familiale de l’Association des petits paysans montre que les efforts sont pluriels pour conserver des exploitations bien implantées et maintenir des agriculteur·trices qualifiés dans la branche. Tirer à la même corde sur ce thème au-delà des divergences politiques invite à l’optimisme.

  • Cet article est paru dans le numéro 1/2025 d'Agricultura. Auteur : Mirjam Bühler

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