Une base essentielle pour l’avenir

Les sols sont la base de notre vie. Sans sol, par de vie, sans vie du sol, par de rendement. Mais comment se portent les sols agricoles en Suisse? Nous avons posé la question au Dr Beatrice Kulli, chargée de cours en écologie du sol à la ZHAW et codirectrice du bureau de la Société de pédologie.

«En Suisse aussi, il existe des sols dégradés, principalement par l’exploitation humaine, qui ne sont plus cultivables», déclare Beatrice Kulli. Photo: Fabienne Buchmann

Beatrice Kulli, quel pourcentage des sols agricoles en Suisse qualifieriez-vous de «sain»?

Nous ne disposons pas d’un relevé exhaustif de l’état des sols en Suisse, c’est pourquoi il n’est pas possible de se prononcer clairement à ce sujet.  Il existe certes des cartes des sols, mais pas dans tous les cantons. On peut s’aider de l’Observatoire national des sols NABO. Nous pouvons y voir des tendances, par exemple si le compactage ou les teneurs en cuivre et en zinc augmentent sur les surfaces agricoles Il n’est toutefois pas possible de tirer des conclusions à partir des sites individuels du réseau de mesure sur la surface totale.

Qu’est-ce qu’un sol sain?

En agriculture, un sol sain est un sol fertile: Il permet une bonne production par rapport à ses conditions d’implantation, ne subit pas de dommages dus à l’homme tels que le compactage ou la pollution et n’est pas dégénéré, c’est-à-dire que sa structure n’est pas mauvaise et qu’il n’est pas appauvri en nutriments ou érodé. Les sols marécageux ou les sites secs peuvent également être sains, mais ne sont pas fertiles au sens agricole du terme.

Compactage, imperméabilisation, pollution, ce sont les principaux problèmes de nos sols?

L’imperméabilisation constitue à mon avis la plus grande menace, car elle est irréversible. Il est certes possible de reconstituer de tels sols, mais il faut alors des matériaux de sol provenant d’autres régions, et ceux-ci font alors défaut. Le compactage n’est pas un risque direct pour l’homme, c’est pourquoi il n’existe pas (encore) de réglementation pour les terres agricoles – contrairement aux chantiers, où la protection physique des sols est établie. Dans leur propre intérêt, les agriculteurs et agricultrices devraient pourtant protéger le sol contre le compactage. Souvent, les agriculteurs et agricultrices ne peuvent cependant pas agir de manière flexible, par exemple en ce qui concerne les dates de livraison ou la collaboration avec les entreprises de travaux agricoles. En ce qui concerne les polluants, il est difficile de se prononcer, car on en découvre toujours de nouveaux. Actuellement, ce sont les PFAS, ces produits chimiques difficilement dégradables, qui sont détectés partout et pour lesquels il n’existe pas encore de valeurs limites pour le sol.

Est-il possible de «remettre en état ou assainir» les sols?

En Suisse, il existe des sols dégradés, le plus souvent en raison de l’exploitation humaine.  Ils ne sont plus arables. Il existe également des marais asséchés, par exemple dans le Seeland bernois, qui se sont affaissés de 2 mètres au cours des 100 dernières années, car les marais se tassent sous l’effet de l’apport d’air, lorsque la décomposition de la matière organique commence. Si l’on s’approche de la nappe phréatique, l’agriculture devient difficile. Il est certes possible de remettre en culture des sols peu épais, mais généralement pas sans y ajouter de la terre. Il faut un sous-sol supplémentaire – et une bonne gestion de l’humus adaptée, qui redonne de la nourriture aux organismes vivants dans le sol.

Les organismes du sol sont donc l’élément central d’un sol fertile?

Absolument. Il s’agit toutefois d’une interaction complexe qui diffère selon le site et le type de sol. Ce qui est clair, c’est que les organismes du sol sont un élément essentiel, car ils brassent le carbone, le décomposent et libèrent des nutriments. Les vers de terre sont très précieux, car ils mangent la matière organique et le sol, les mélangent entre eux, les transforment en humus et les déposent dans la couche supérieure du sol. Plus il y a de matière organique, plus la vie du sol est active. Toutefois, une grande partie de cette matière est également «respirée» et libérée par ces mêmes organismes du sol. Il s’agit donc d’un exercice d’équilibre: nous voulons d’une part que le carbone reste dans le sol et d’autre part que la biologie fonctionne.  Les micro-organismes, c’est-à-dire les bactéries et les champignons, sont les plus fréquents dans le sol.  Parmi ceux-ci, la fonction exacte de peu d’entre eux est connue et il n’est pas encore possible, pour le moment, de dire clairement si certaines «espèces indicatrices» doivent être présentes pour que nous puissions qualifier un sol de fertile.

Quel rôle jouent les pesticides?

Nous savons encore peu de choses sur la manière dont les pesticides agissent sur les organismes du sol, car ils sont difficiles à mesurer dans le sol. Certaines structures organiques et les produits phytosanitaires se ressemblent beaucoup. Pour les mesurer, il faut donc d’abord trouver un moyen de les extraire du sol. Pour cela, il faut savoir clairement ce que l’on cherche. Agroscope a développé il y a quelques années seulement une méthode d’analyse pour les pesticides et observe maintenant la situation dans le NABO. En ce qui concerne les pesticides, l’argumentation actuelle se base surtout sur la protection des eaux souterraines, étant donné qu’il y a moins de matière organique dans l’eau et que les mesures sont plus simples. Mais si les pesticides sont nocifs dans l’eau et pour les insectes, on peut supposer qu’ils sont également nocifs dans le sol.

À quoi les sols doivent-ils être préparés à l’avenir?

Dans le cadre du changement climatique, la Suisse devrait connaître des étés plus secs.  Des adaptations dans les pratiques culturales – comme l’agriculture régénérative, la couverture permanente des sols et l’agroforesterie – sont des moyens d’augmenter la résilience des sols face à la sécheresse. Lorsque le temps se réchauffe, il faut une gestion active de l’humus et une «alimentation» ciblée du sol en carbone. Pour maintenir la teneur en carbone, il faut donc une gestion active de l’humus et une «alimentation» ciblée du sol en carbone. La gestion de l’eau devient aussi un sujet brûlant. L’irrigation devient importante en période de sécheresse, et en période de précipitations abondantes et intenses, une couverture végétale permanente.  Selon l’exposition, la situation et le degré de compactage du sol, le risque d’érosion ou d’inondation augmente également.

Si le sol et ses habitants pouvaient parler, quel type d’agriculture souhaiteraient-ils?

Le sol et ses habitants apprécient une couverture végétale perpétuelle et donc un enracinement. Ils aiment également que beaucoup de matière organique soit restituée, qu’ils ne soient pas compactés et qu’ils soient protégés des polluants, par exemple les PFAS. Il existe des différences entre les sols cultivés, les prairies et les pâturages. Pour les mêmes conditions d’implantation, le principe suivant s’applique: plus le sol est utilisé de manière intensive, moins il contient de carbone dès que l’on évacue les récoltes. Quand la paysanne ou le paysan apporte activement des nutriments, il est essentiel de le faire au bon moment. Si les plantes ne peuvent pas absorber les éléments nutritifs, s’ils sont lessivés ou si c’est l’hiver et que les organismes du sol sont (trop) peu actifs, même le meilleur engrais de ferme ne sert à rien. Mais si le moment est bien choisi, il y a un double effet positif:  la formation d’humus aide à lutter contre le changement climatique et améliore la fertilité du sol.

  • Cette interview est parue dans le numéro 4/2024 d’Agricultura. Auteure : Annemarie Raemy

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