Revenu agricole et répartition des paiements directs

On pouvait lire dans les journaux ces derniers temps la frustration de travailler sans relâche pour 17 francs l’heure du milieu agricole sous pression. Mais dans les comptes-rendus sur les bas revenus dans l’agriculture, une cause cruciale de cette misère n’est en général pas mentionnée: les conditions cadre de la politique, et en particulier la répartition inégale des paiements directs, sont en première ligne responsables de la situation économique précaire de nombreuses petites et moyennes exploitations agricoles et de la mort progressive des exploitations.

L’origine des bas revenus en agriculture est toujours attribuée aux prix bas payés aux producteurs et productrices. De fait, les paysannes et paysans sont soumis à une très forte pression de la part du commerce de détail et de l’industrie de transformation. La majorité des exploitations ne peuvent pas couvrir leurs coûts de production de la seule vente de leurs produits et génèrent même un revenu négatif qu’elles tirent du marché. Les prix aux producteurs et productrices sont tout simplement trop bas pour leur permettre de joindre les deux bouts. L’engagement des agriculteurs et agricultrices et de leurs organisations pour un meilleur prix est donc juste et essentiel.

Répartition inégale des paiements directs

Pour maintenir une agriculture paysanne, les exploitations sont aussi soutenues par la Confédération de manière spécifique au travers des paiements direct. Avec 2,8 milliards de francs, ces derniers constituent une part significative du revenu agricole. En moyenne, une exploitation agricole perçoit environ 82000 francs suisses de paiements directs par an, mais cet argent est malheureusement réparti de manière très inégale. En effet, une grande partie des paiements directs est distribuée en fonction de la taille de la surface agricole utile et n’est que peu échelonnée. Cela signifie que les petites exploitations reçoivent peu de paiements directs et que les grandes exploitations en reçoivent beaucoup. Les très grandes peuvent recevoir plusieurs centaines de milliers de francs par an. Plus le nombre de fermes paysannes qui cessent leur activité augmente, plus les paiements pour les exploitations encore existantes grandissent car elles achètent ou louent les surfaces des fermes abandonnées. De plus en plus de terres et de paiements directs se concentrent ainsi sur un nombre toujours plus restreint d’exploitations agricoles, mais toujours plus grandes.

En même temps, une part toujours plus importante des paiements directs ne profite plus aux agriculteurs et agricultrices qui exploitent les terres, mais aux propriétaires terriens. La part des terres affermées n’a cessé d’augmenter au cours des dernières années et représente désormais 46 pour cent des surfaces agricoles utiles. Pour éviter les hausses de prix, le fermage est en fait fixé par la loi et doit être approuvé par les autorités cantonales. Mais le contrôle des loyers n’existe plus que sur le papier et des intérêts exorbitants sont donc payés en de nombreux endroits pour les terres affermées. Ces sommes sont versées à des particuliers fortunés et à des communautés d’héritiers, ce qui détourne ces terres de l’agriculture de production.

Course ruineuse aux terres et à l’argent

Lors de l’introduction des paiements directs, des limites de revenu et de fortune ainsi qu’un plafonnement par exploitation et par an ont empêché de trop grandes inégalités sociales entre les exploitations agricoles. Ces conditions-cadres ont été obtenues de haute lutte par l’Association des petits paysans lors de la refonte de la politique agricole suisse dans les années 1990, par le biais d’initiatives populaires et de référendums. Mais au cours des quinze dernières années, le Parlement, dominé par les partis bourgeois, a progressivement vidé ce système de sa substance, lançant ainsi une course ruineuse aux terres et aux paiements directs. En conséquence, ce sont surtout les petites et moyennes exploitations qui ne peuvent plus suivre le rythme de l’intensification toujours plus poussée de la production. Car cette dernière est liée à long terme à des investissements dans des moyens de production gourmands en capital tels que davantage de terres, de nouvelles étables ou des machines plus grandes.

Lorsque les médias abordent le sujet, les petites exploitations sont souvent placées sous le feu des projecteurs médiatiques, tandis que les grandes exploitations bien placées restent discrètement dans l’ombre.  On profite ainsi de la bonne volonté de la population envers une agriculture diversifiée et paysanne, caractérisée par des petites et moyennes exploitations. Mais en parallèle, la politique agricole actuelle favorise systématiquement les grandes exploitations et est ainsi la véritable cause de l’intensification constante et le moteur de la disparition progressive des fermes. Un contrôle efficace des fermages dans les cantons et la réintroduction d’un plafonnement pour les paiements directs, ainsi que la réorientation des paiements vers les petites et moyennes exploitations, constituent donc le premier pas vers une amélioration de la situation de nombreux agriculteurs et agricultrices, et donc un moyen efficace de lutter contre la mort des exploitations et de promouvoir une agriculture paysanne diversifiée.

 

Kilian Baumann, Conseiller national et président de l’Association des petits paysans

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