Dans la pratique, l’agriculture rencontre toujours des problèmes liés à la biodiversité et au climat. Cela se reflète aussi dans la formation agricole où l’agriculture écologique n’est toujours pas traitée comme la norme mais comme une particularité. Que faut-il pour que des thèmes tels que le changement climatique ou la perte de biodiversité fassent naturellement partie de la formation au même titre que la mécanique et la gestion d’entreprise ?
Non, l’agriculture n’est pas figée, et la formation agricole non plus. Plus qu’une simple transmission de connaissances, les compétences opérationnelles sont aujourd’hui mises en avant et les trois dimensions du développement durable – écologiques, sociales et économiques – sont entrées dans la formation initiale et continue. Pour autant, si on y regarde de plus près, l’agriculture biologique reste un cas spécifique dans la formation et le changement climatique n’est abordé que marginalement.
Orientation large mais classique
Tout cela a déjà été critiqué dans un reportage de la télévision alémanique il y a deux ans. Diverses organisations environnementales ont abordé le sujet et réclament une formation qui tienne plus compte des aspects écologiques. Le reportage donne l’impression que les écoles sont sur la défensive à ce sujet : d’après elles, la formation devrait couvrir les connaissances de base et non pas susciter des discussions politiques. On peut comprendre que la quantité de matière, surtout dans la formation initiale, atteint rapidement ses limites. Mais cela ressemble à un prétexte pour exposer à peine les étudiant·e·s à ces thèmes. Les paysannes et paysans ne sont pas ou pas suffisamment préparés aux grands défis en matière de climat et d’écologie.
Si l’on écoute les diplômé·e·s des apprentissages CFC ou d’une formation complémentaire en agriculture, on voit que les impressions sont très diverses. L’étendue de la formation forge l’apprentissage en agriculture mais empêche une réflexion approfondie sur des sujets importants. Le large spectre est donc à la fois une force et une faiblesse. De plus, les vaches et l’économie laitière dominent encore considérablement la formation aujourd’hui. Ce n’est pas satisfaisant pour les futur·e·s professionnel·le·s en agriculture qui imaginent leur avenir dans d’autres branches d’exploitation.
Le Bio reste une exception
Dans la formation initiale pour le certificat fédéral de capacité CFC d’agriculteur, l’accent peut être mis sur l’agriculture biologique. Pour ce faire et selon l’école, des classes séparées ou mixtes sont organisées. La troisième année est une exception avec 120 leçons qui doivent être données séparément. Cela s’applique aussi pour les métiers particuliers comme maraîcher·ère, arboriculteur·trice, viticulteur·trice ou aviculteur·trice. Cette possibilité est importante. Il existe en outre des écoles professionnelles spécialisées, comme l’école d’agriculture biologique de Schwand dans le canton de Berne, ou la formation en biodynamie au Gut Rheinau dans le canton de Zurich. Cette logique de spécialisation implique toutefois une décision fondamentale des apprenant·e·s pour une orientation écologique qui ne correspond pas à la voie classique jusqu’ici. L’apprentissage en agriculture reste ce faisant particulièrement axé sur l’agriculture conventionnelle.
Dans la formation continue, comme dans le cours de chef·fe·s d’exploitation indispensable pour obtenir la maîtrise, l’orientation écologique est encore plus marginalisée. L’agriculture biologique n’y est pas encore intégrée mais enseignée séparément dans des modules isolés comme l’élevage de vaches laitières en bio et l’arboriculture bio, ou encore traitée dans une perspective résolument économique notamment en matière de biodiversité. La production biologique se limite au module sur les cultures maraîchères.
Qui ne s’y intéresse pas sciemment, peut en grande partie passer à côté des thèmes écologiques durant sa formation. Cela est préoccupant au vu des préjugés encore présents au sein de l’agriculture conventionnelle envers des modes d’exploitation écologiques, et des connaissances scientifiques sur la perte progressive de biodiversité et le changement climatique. Alors que les formations initiale et continue sont principalement déterminées par la branche (voir encadré), les écoles spécialisées et les hautes écoles disposent d’une plus grande marge de manœuvre pour se consacrer davantage à ces sujets brûlants et sont généralement plus prédisposées à le faire.
Réforme de l’éducation d’ici 2023
La formation agricole initiale est en cours de réforme. La responsable Petra Sieghart de l’Organisation du monde du travail OrTra AgriAliForm, dans l’émission Rundschau, s’est dite persuadée que des thèmes comme le changement climatique trouveront toujours plus leur place dans l’enseignement. L’Association des petits paysans s’exprimera sur la réforme et s’informera directement de l’état actuel des choses avec l’OrTra AgriAliForm. Tout aussi important que l’ancrage dans le programme d’enseignement, il faut qu’une agriculture écologique soit toujours plus perçue comme un élément standard de la formation par le corps enseignant également.
Car ce que l’on retient le mieux est souvent ce qui est transmis par des formateurs·trices personnellement convaincu·e·s et passionné·e·s. Le changement de mentalité ne doit donc pas se passer que dans les manuels scolaires, mais surtout chez les responsables. La politique peut aussi y contribuer avec des directives et objectifs appropriés. Et il est certain que chaque praticien et praticienne fera de même en optant en toute connaissance de cause pour une formation susceptible d’apporter les réponses aux questions urgentes dans le domaine du climat, de la biodiversité, etc. Les exemples suivants montrent que de telles formations existent aujourd’hui mais pas forcément dans les écoles classiques :
- Centre de compétences en permaculture de la HAFL
- F.A.M.E. – Formation autogérée de maraîchage écologique
- Patente de spécialisation en viticulture biologique
- Plateforme de connaissances pour l’agriculture régénératrice
Formation professionnelle agricole en Suisse
La formation professionnelle agricole en Suisse est fortement axée sur la pratique et répond aux qualifications recherchées par l’économie. La théorie comme la pratique rendent l’apprentissage attrayant et unique. Le système de formation en Suisse n’est pas cloisonné. La formation initiale et la formation continue resp. les écoles supérieures s’appuient les unes sur les autres. Le fort alignement sur le monde du travail est un avantage majeur mais également l’inconvénient principal. La teneur de la formation initiale comme de la formation professionnelle supérieure est déterminée par l’économie. Le risque est donc que la culture générale ou les thèmes centraux pour la société, comme la durabilité ainsi qu’une approche holistique, soient négligés. Bien que le Secrétariat d’État à la formation, à la recherche et à l’innovation SEFRI garantisse l’équivalence et la qualité des diverses formations professionnelles, il n’exerce pas vraiment d’influence sur le contenu pédagogique. La formation agricole est coordonnée par l’Organisation du monde du travail OrTra AgriAliForm avec une nette dominance d’associations conventionnelles : l’Union suisse des paysans USP et son homologue en Suisse romande l’AGORA, les associations des domaines des vins, des fruits, des légumes, des chevaux, de la volaille ainsi que l’Union suisse des paysannes et des femmes rurales. Sur les neuf sièges, un seul est occupé par une organisation agricole à orientation écologique, à savoir Bio Suisse. |