Agriculture libre de pesticides

Pour l’agriculture, un environnement préservé est une condition indispensable pour produire suffisamment de denrées alimentaires à l’avenir également et assurer la sécurité de l’approvisionnement. L’utilisation de pesticides de synthèse reste encore trop élevée et menace la biodiversité et la fertilité du sol à long terme. Un changement de paradigme est donc nécessaire pour se diriger vers une production libre de pesticides.

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La Suisse fait partie des pays où l’utilisation des pesticides est particulièrement élevée. En 2020, 2259 tonnes de pesticides ont été utilisées. On estime que 85 % à 90 % ont été utilisés dans l’agriculture. L’utilisation de pesticides est la plus importante dans les cultures de fruits, de pommes de terre, de betteraves sucrières, dans les vignes et pour différentes cultures de légumes. Les résidus de pesticides et leurs produits de dégradation se retrouvent dans le sol, les cours d’eau, les eaux souterraines et même dans les produits ou dans l’eau potable. Les valeurs spécifiées dans la loi sont depuis longtemps et dans une large mesure dépassées dans presque toutes les eaux de surface analysées en Suisse. La pollution des eaux souterraines est aussi trop élevée dans de nombreuses régions du Plateau suisse exploitées intensivement par l’agriculture. Déjà en 2005, l’objectif d’une première étape de la politique agricole était de diminuer la consommation de produits phytosanitaires à 1500 tonnes par an. Mais les efforts visant à réduire considérablement l’utilisation des pesticides, et à moyen terme à l’éliminer, n’ont pas abouti.

Malgré des buses de pulvérisation toujours plus précises, les pesticides atteignent l’environnement par dérive, ruissellement et infiltration. Les pesticides polluent ainsi l’environnement dans son ensemble et ne font pas la distinction entre les organismes nuisibles et auxiliaires. Ils nuisent donc à un grand nombre d’espèces animales et végétales et ils sont en grande partie responsables du déclin de la biodiversité, en particulier de celle des insectes, des oiseaux et des organismes aquatiques. Par exemple, certains pesticides comme les néonicotinoïdes sont suspectés d’être l’une des principales causes de la mort des abeilles. Diverses études scientifiques établissent un lien entre l’utilisation des pesticides et la quantité et la diversité des êtres vivants du sol tels que les vers, les champignons et les bactéries. L’équilibre sain du sol est ainsi perturbé par les pesticides. Un sol sain et exploité de manière biologique avec des organismes du sol diversifiés, est en revanche moins sensible à l’érosion et plus résistant. Il peut absorber plus de carbone et d’eau, ce qui fixe le C02 et respecte ainsi plus le climat et a un effet régulateur en cas de sécheresse ou de fortes précipitations.

Lors de l’homologation de pesticides par les autorités, leur toxicité est testée par des organismes sélectionnés, mais pas l’effet dit «cocktail» de différentes substances actives ou les interactions avec d’autres facteurs de stress. En outre, pour la plupart des pesticides, il existe peu ou pas d’études à long terme. Aussi longtemps que ces données ne sont pas disponibles, les risques pour la santé humaine ne sont guère prévisibles. La nocivité des pesticides n’est généralement reconnue qu’après coup. Malgré la résistance massive des entreprises productrices, des substances actives des pesticides ont dû sans cesse être retirées du marché après une longue période d’utilisation. Les agriculteurs et les jardiniers amateurs qui utilisent régulièrement des pesticides courent un risque accru pour leur santé. Bien que les données soient encore très limitées dans ce domaine, différentes études suggèrent que le risque d’être atteint de différents types de cancer ou de la maladie de Parkinson est plus élevé pour les hommes qui sont régulièrement en contact direct avec les pesticides..

Coûts indirects élevés
Les coûts qui résultent des effets négatifs, connus et encore inconnus, de la forte utilisation de pesticides (traitement de l’eau potable, coûts de la santé, perte de biodiversité, etc.) se répercutent actuellement sur la collectivité. Par ailleurs, les divers mauvaises herbes, insectes ou champignons résistants contre lesquels des herbicides, des insecticides et des fongicides ne sont plus efficaces et qui nécessitent toujours plus de substances actives, montrent bien que l’agriculture industrielle fondée sur la chimie mène à une impasse à long terme. Afin de préserver la biodiversité indispensable à l’agriculture et des sols sains et fertiles à long terme, il faut changer de paradigme et passer à une production sans pesticides.

L’agriculture biologique utilise également des pesticides dans certains cas. Cependant, ils sont d’origine naturelle et se dégradent rapidement dans la nature. Le cuivre constitue une exception: il ne se dégrade pas mais s’accumule dans le sol et est également problématique à fortes doses. L’argile, le soufre, le savon noir, des extraits de plantes ou les micro-organismes représentent d’autres exemples de produits phytosanitaires autorisés en agriculture biologique. Les moyens naturels peuvent aussi avoir des effets négatifs sur l’environnement. Ils sont toutefois sans commune mesure avec les graves problèmes environnementaux provoqués par les pesticides chimiques de synthèse.

Environ un tiers du volume des produits phytosanitaires vendus en Suisse est autorisé en agriculture biologique. Ce fait est parfois utilisé de manière fallacieuse par les personnes favorables aux produits phytosanitaires chimiques de synthèse pour affirmer que l’agriculture biologique utilise autant de pesticides que l’agriculture conventionnelle. Il est vrai que les substances utilisées dans l’agriculture biologique le sont également de plus en plus dans l’agriculture conventionnelle. Pourtant en comparaison, les quantités autorisées en agriculture biologique sont plus faibles. En ce qui concerne le cuivre, l’une des substances les plus problématiques parmi les pesticides naturels, plus de 90% des quantités utilisées en Suisse sont épandus dans les cultures conventionnelles. La recherche et le développement en agriculture biologique s’orientent toujours plus vers une gestion holistique des systèmes. Une réduction supplémentaire du cuivre et à plus long terme un abandon de son utilisation ont été clairement définis comme objectifs.

Une agriculture sans pesticides chimiques de synthèse a fait ses preuves dans de petites comme de grandes exploitations. Produire sans pesticides est possible au moyen de systèmes sur l’ensemble de l’exploitation. De nombreuses paysannes et paysans le montrent depuis des années. Une agriculture diversifiée est la base d’une exploitation écologique. Celle-ci a un effet préventif et renforce l’équilibre entre les insectes dits nuisibles et ceux dits auxiliaires. Sont entre autres utilisées des méthodes de culture écologiques et la sélection végétale appropriée de variétés résistantes, une rotation culturale équilibrée et variée, ainsi que le choix et la sélection de variétés adaptées au site. De plus sont aussi utiles des appareils modernes pour la lutte mécanique contre les mauvaises herbes et la promotion de la biodiversité et de la faune auxiliaire, par exemple avec des bandes fleuries.
Les paysannes et paysans sont déterminants pour la mise en œuvre d’une production sans pesticides. Ils sont toujours plus nombreux, aujourd’hui déjà, à faire preuve de beaucoup d’engagement pour une exploitation écologique et sans pesticides. Cela doit s’appuyer sur le soutien adéquat de la recherche et de la science orientées sur la pratique. Jusqu’à présent, seule une petite partie des fonds alloués à la recherche est consacrée à l’agriculture biologique ou à l’agroécologie.

Ce n’est que si nous produisons sans pesticides que nos sols, nos eaux, notre biodiversité indispensable à la production et l’ensemble de notre environnement resteront sains afin de produire aujourd’hui comme demain des denrées alimentaires en suffisance. L’agriculture écologique peut tous nous nourrir. Selon une étude à long terme d’Agroscope et du FiBL, les rendements de l’agriculture biologique dans les zones climatiques tempérées comme la Suisse sont en effet en moyenne vingt pour cent inférieurs à ceux obtenus avec l’utilisation de pesticides de synthèse. Cependant, ce chiffre n’est qu’un instantané. L’agriculture sans pesticides a déjà profité de grands progrès dans l’exploitation ces dernières années et décennies, comme le développement technologique ou la sélection de variétés résistantes. Si cette recherche pratique continue à être encouragée de manière conséquente, ces progrès seront encore accélérés. Avec en parallèle une réduction du gaspillage alimentaire – de nos jours, un tiers de tous les aliments sont jetés – le taux d’auto-approvisionnement de la Suisse ne diminuerait donc pas, même avec une production sans pesticides.

Aujourd’hui, les denrées alimentaires produites sans pesticides sont plus chères que celles produites avec des pesticides de synthèse. À plus long terme, ce sera le contraire. Il y a plusieurs raisons à la différence de prix actuelle: en premier lieu, la vérité des coûts fait défaut. L’ensemble des coûts engendrés par une agriculture basée sur les pesticides sur l’environnement, l’économie et la santé de la population, n’est pour le moment pas pris en compte dans le prix. D’autre part, le commerce prend une marge bénéficiaire plus élevée sur les denrées alimentaires produites de manière écologique que sur l’assortissement de base. Ces marges plus hautes pénalisent de nos jours les consommateurs et consommatrices qui se soucient de l’environnement, créent une distorsion du marché et font obstacle au développement plus avant d’une agriculture plus écologique. En raison du manque de promotion conséquente, la production sans pesticides de synthèse entraîne en outre pour l’instant des coûts plus élevés pour les paysannes et paysans.

Grâce à une recherche ciblée et à des innovations pratiques, la production sans pesticides deviendra cependant à l’avenir plus rapide, plus productive et également meilleur marché. La politique serait quant à elle responsable de la mise en œuvre de la vérité des coûts. En tant que société, nous pourrions sans problème nous permettre de payer un prix équitable pour des aliments produits de manière durable. La part du prix que les consommatrices et consommateurs paient à la caisse est une question politique à négocier. Aujourd’hui déjà, l’État intervient sur le marché des aliments, par ex. sous la forme de publicités subventionnées, de renchérissement des produits par le biais de droits de douane. Ces garde-fous politiques pourraient dès aujourd’hui être dirigés de manière cohérente vers plus de durabilité afin que les denrées alimentaires produites sans pesticides deviennent enfin réellement abordables pour tous.

En juin 2021, les citoyennes et citoyens suisses ont voté sur les initiatives Pour une eau potable propre et Pour une Suisse libre de pesticides de synthèse. Ces deux initiatives populaires visaient un abandon, respectivement une réduction de l’utilisation des pesticides. L’Association des petits paysans a préféré la voie plus cohérente de l’initiative «Pour une Suisse libre de pesticides de synthèse» et a lancé sa propre campagne pour le Oui. Cette initiative réclamait l’interdiction des pesticides de synthèse pour la production alimentaire, l’utilisation de pesticides par les pouvoirs publics et les jardiniers professionnels ou amateurs. L’importation de denrées alimentaires qui contiennent des pesticides de synthèse ou ont été produits avec eux, aurait également dû être interdite. Le délai de mise en œuvre prévu était de dix ans.

L’initiative a obtenu 40% de Oui et a pu faire bouger beaucoup de choses grâce au large débat public (communiqué de presse de l’Association des petits paysans sur le résultat de la votation et les perspectives). La nécessité d’agir concernant les pesticides a été reconnue, et l’objectif commun d’une agriculture plus écologique n’a pas été contesté, même par les opposants à l’initiative. Le seul désaccord portait sur la voie à suivre et les échéances.

Parallèlement à la votation sur les initiatives contre les pesticides et pour une eau potable propre, le Conseil fédéral a adopté en 2021 un «Plan de mesures pour une eau propre». Il vise à réduire de moitié le risque lié à l’utilisation des pesticides d’ici 2027 et à diminuer la charge en éléments nutritifs dans les sols et les eaux. Les mesures contenues dans le train d’ordonnances reconnaissent certes la nécessité d’agir dans les problématiques liées aux pesticides et aux éléments nutritifs et amorcent les premiers pas en direction d’une amélioration. Mais elles ne vont clairement pas assez loin. L’Association des petits paysans continuera à s’engager pour une politique agricole plus conséquente et plus cohérente, qui libèrerait de travail administratif supplémentaire les exploitations qui pratiquent aujourd’hui déjà une agriculture respectueuse de l’environnement.

Le renforcement de la promotion de systèmes sur l’ensemble de l’exploitation (Bio, IP-Suisse) ainsi que de taxes d’incitation sur les pesticides seraient des instruments efficients qui réduiraient plus rapidement l’utilisation des pesticides. L’Association des petits paysans est favorable au Plan de réduction des pesticides paru déjà en 2016, et dans lequel Vision Agriculture a montré que rien qu’en utilisant des mesures facilement réalisables et économiquement supportables, il est possible aujourd’hui déjà de réduire de 40% à 50% l’utilisation de pesticides dans l’agriculture suisse sans amoindrir le niveau de production. Dans les domaines de l’habitation et du transport, le potentiel de réduction atteint même 80%.

Mais la nécessité d’agir va bien au-delà de la politique agricole. La formation et le conseil doivent aussi prendre une orientation plus écologique. Parallèlement, une politique alimentaire globale est plus nécessaire que jamais. Outre le réalité des coûts, la politique est appelée à assurer la disponibilité de produits provenant de l’agriculture écologique, par exemple en favorisant l’offre en produits bio dans la restauration collective publique. D’autres champs d’action se situent dans la promotion de l’agriculture biologique au niveau cantonal et communal (voir l’article «Le Val Poschiavo montre ce qui est possible»). De plus, l’Association des petits paysans continuera de mener des actions de sensibilisation pour un changement de cap vers une agriculture sans pesticides de synthèse, par exemple lors de la Semaine annuelle pour les alternatives aux pesticides.