Où va l’argent que nous dépensons pour les denrées alimentaires? Et quels acteurs reçoivent quelle part du gâteau? Si tout se passe comme d’habitude, c’est souvent le pouvoir de marché qui détermine au sein de la chaîne de logistique qui reçoit combien pour son produit. À Zurich, Crowd Container a une autre approche: la transparence et des prix équitables qui rendent une agriculture écologique possible.
En Sicile, les olives sont récoltées à la main d’octobre à fin décembre. Pour obtenir un litre d’huile d’olive extra vierge, il faut environ 5 à 6 kg de fruits. «La transparence est également importante pour les personnes travaillant dans les champs et dans la production», explique Benjamin
C’est lors d’un voyage dans le sud de l’Inde que l’idée de Crowd Container est née: Tobias Nordmann, l’un des fondateurs, était en voyage à Kerala lorsqu’il a découvert un jardin-forêt. Des épices y étaient cultivées dans un système agroforestier. Malgré la qualité des produits, leur commercialisation posait des problèmes. Pour vendre aux exportateurs, il faut de très grandes quantités et des produits standardisés, et même ainsi les prix couvrent à peine les coûts de culture. La question s’est alors posée de savoir s’il ne serait pas possible d’apporter à la clientèle des produits à des prix équitables, issus d’une agriculture innovante à petite échelle et sans intermédiaires. C’est le cas, comme le montre l’entreprise. En 2016, le premier conteneur d’épices, de noix de cajou et de riz a pris le chemin de la Suisse. Depuis, Crowd Container a livré plus de 472 tonnes de denrées alimentaires – en provenance d’Inde, de Sicile, d’Andalousie, du Pérou et de Suisse.
Là où tout commence: bottom-up pricing
«Promouvoir l’agriculture régénératrice et donc une plus grande diversité de variétés et d’espèces, des sols sains et des formes de culture respectueuses du climat, telle était l’idée de base de l’entreprise, qui nous anime toujours», raconte Benjamin Krähenmann de Crowd Container. Autre objectif: une plus grande valeur ajoutée pour les petites paysannes et les petits paysans et une transparence totale des prix. Avec le bottom-up pricing, les producteurs et productrices ainsi que les coopératives déterminent le montant dont elles ont besoin pour leur travail, les conditions d’emploi équitables des travailleurs saisonniers et la production des aliments. «Habituellement, il y a des prix indicatifs de la branche qui déterminent combien les paysans et paysannes reçoivent pour leurs produits. Nous leur demandons: De quoi as-tu besoin pour pratiquer et maintenir ce type d’agriculture?», explique Benjamin.
Après on fait des calculs. Aux coûts de production et de transformation, qui constituent la plus grande partie du prix (44% en moyenne en 2023), s’ajoutent les dépenses de transport et de logistique. Cette part représentait en moyenne 20% en 2023. Avec le modèle spécial de commande, le crowd ordering, les commandes sont passées à des dates fixes, puis les marchandises sont importées et distribuées: un argument à la fois écologique et économique. La troisième partie du prix final comprend le travail de Crowd Container, comme la communication, la boutique en ligne, la conception de l’assortiment et les coûts salariaux. Cela a représenté 29% en 2023. «Pour assurer notre propre financement, nous avons besoin de 30% de marge. C’est calculé de la même manière pour tous les produits. Nous voulons une certaine simplicité dans le calcul et la conception des prix, pour que la clientèle comprendre».
Voici comment se compose le prix :La transparence du champ à l’assiette: l’exemple de l’huile d’olive de la coopérative Valdibella, Sicile. Les producteur·trices vendent les olives fraîches à la coopérative au prix de 1,50 Euro le kilo. |
Transparence pour tous: l’exemple de la Sicile
Dans la boutique en ligne de Crowd Container, il existe pour chaque produit une ventilation du prix final (voir graphique). «Nous rendons la chaîne de création de valeur transparente, afin que l’ensemble des consommateurs et des producteurs puisse voir combien d’argent est dépensé et où. Beaucoup ne savent pas que la transparence est également importante pour les personnes travaillant dans les champs et dans la production», explique Benjamin. La proximité, des valeurs communes et une base de confiance minimisent également le risque de pratiques commerciales abusives. Si, en Suisse, ce sont surtout les familles paysannes elles-mêmes avec lesquelles Crowd Container travaille au quotidien, à l’étranger, ce sont les coopératives. «La force des coopératives, c’est de pouvoir générer des valeurs par le biais de la quantité et de la transformation des produits qu’un petit paysan ne peut pas produire seul», explique Benjamin. De cette manière, une plus grande partie de la valeur ajoutée reste chez les paysans.
La confiance et l’équité impliquent également que Crowd Container soutienne les productrices et producteurs lors des mauvaises années de récolte, comme le montre l’exemple de l’huile d’olive. En avril 2023, il a fait humide et froid en Sicile, et de nombreuses fleurs n’ont pas survécu. Il s’en est suivi un été sec et chaud. En conséquence, les fruits récoltés ont été moins nombreux et plus petits. L’augmentation des coûts de l’énergie a en outre renchéri la transformation. Si Crowd Container a pu acheter à la coopérative Valdibella le bidon d’huile d’olive de 5 l de la récolte 2022 pour 42 CHF, Valdibella a dû augmenter sa part à 55 CHF pour la récolte 2023. Les producteurs et productrices recevront désormais 1,50 EUR au lieu de 0,90 EUR pour un kilogramme d’olives. Si le prix d’achat était gelé lors des mauvaises années de récolte, les agriculteurs ne pourraient pas maintenir leurs normes écologiques et sociales. Crowd Container va ainsi plus loin que le commerce équitable courant ou que le label bio, mais sans catalogue de règles fixes.
Et qui paie le prix?
«Les prix de nos produits sont élevés», admet Benjamin lorsque je l’interroge à ce sujet. Mais il ajoute aussitôt: «Mais peut-être que les prix courants des produits alimentaires sont tout simplement trop bas. Nous devons réfléchir à ce que doit coûter un produit alimentaire. Si on pratique une agriculture qui prend soin des sols et de la biodiversité, les externalités positives sont prises en compte, contrairement aux aliments produits de manière conventionnelle, pour lesquels les externalités négatives ne sont pas reflétées dans le prix». Cela signifie qu’une agriculture qui préserve l’environnement engendre moins de coûts pour les tiers et les générations futures. «Nous sommes conscients que tout le monde ne peut pas s’offrir de tels produits. Mais il y a beaucoup de gens en Suisse qui le pourraient», soutient Benjamin. Pour les nouvelles clientes et les nouveaux clients, l’argument le plus convaincant reste toutefois la qualité et le goût des produits. Et peut-être aussi le fait de savoir que leur argent est investi dans une agriculture à petite échelle, qui prend soin de la nature et des hommes – et qui leur profite aussi.