Recherche, financements, réseaux et transmission d’information pour les petits paysans

La prestigieuse université de Berkeley abrite l’un des pères de l’agroécologie Miguel Altieri, avec son groupe de recherche pour comprendre la nature des agroécosystèmes et leurs principes de fonctionnement. Bien d’autres institutions et projets existent aussi en Californie pour favoriser le développement de pratiques agricoles plus durables.

La recherche au service des petits paysans

La division Agriculture and Natural Resources de l’Université de Californie de Davis UC ANR se dédie à l’agriculture, aux ressources naturelles, à la nutrition et au développement de la jeunesse des communautés locales pour le bien de l’ensemble de la population californienne. Depuis 2000, UC ANR dispose d’un programme pour les petits paysans (Small Farms Program) qui connaît un fort succès. C’est un programme de recherche, de vulgarisation et d’éducation axé sur les besoins des petites exploitations agricoles. « Nous offrons une service gratuit aux agriculteur·trices. S’ils ont besoin d’aide pour résoudre un problème de parasite ou de nutriments, nous travaillons avec eux pour y remédier. En tant que conseillère, je travaille en étroite collaboration avec les paysan·nes pour comprendre leurs besoins et développer un programme de recherche et de vulgarisation en fonction de ceux-ci », explique Margaret Lloyd, small farm advisor (conseillère pour les petites fermes) à UC ANR. « Nous créons un pont entre la recherche universitaire et les praticiens, entre les besoins des agriculteur·trices et les chercheur·ses du campus. » Sur les fermes à petit échelle, on trouve des personnes historiquement défavorisées et marginalisées qui n’ont qu’un accès limité à la terre, parlent peu l’anglais et n’ont pas ou que peu d’accès soutiens de l’État fédéral. Pour atteindre ces populations, le programme pour les petites fe3rmes dispose de personnel et de programme dans ces langues, notamment le hmong, le iu-mienh, le mandarin, le coréen, le punjabi et l’espagnol. Beaucoup de ces petits paysans vendent directement aux consommateur·trices sur les marché de producteurs, dans le cadre de programmes d’agriculture soutenue par la communauté (Community-supported agriculture CSA) ou encore aux restaurants et épiceries. Ils ne font pas partie de groupements de producteur·trices qui fournissent une assistance technique et commerciale à leur propre réseau d’exploitatant·es. Le rôle du programme en faveur des petites fermes est dont essentiel pour ce groupe d’agriculteurs.

Protéger les terres agricoles pour les générations futures

Une tout autre structure a pour but de conserver les terres agricoles et d’améliorer les pratiques afin de contribuer à un système agroalimentaire résilient pour les générations à venir. Il s’agit de l’organisation à but non lucratif American Farmland Trust AFT, fondée en 1980, qui n’est pas composée d’agriculteurs et agricultrices. Il s’agit d’un trust de terres agricoles, donc une fiducie foncière s’occupant de terres agricoles, qui ne possède pas de terres mais conseille les agricultrices et agriculteurs sur les meilleures méthodes de gestion de leurs terres. Le message est clair : « No Farms, No Food, No Future » (pas de fermes, pas de nourriture, pas de futur). L’AFT sait que la technologie ne résoudra pas tous les problèmes à elle seule et qu’il faut non seulement protéger les terres agricoles (la Californie perd en moyenne plus de 20 000 ha de terres agricoles par an, et un tiers des agriculteurs ont plus de 65 ans et 40 % des terres devraient changer de mains au cours des 15 prochaines années!), mais aussi maintenir une diversité d’agriculteurs et éleveurs avec les connaissances et le savoir-faire appropriés. Le constat de l’AFT est le même que celui de UC ANR : les petites exploitations agricoles californiennes ont besoin de plus de ressources et de conseils pour accéder à la terre, aux subventions, à la technologie, à l’éducation.

Pour cela, l’AFT travaille à deux niveaux. L’un des volets se concentre sur les aspects de gestion des terres agricoles. « Il y a quelques années s’est opéré une prise de conscience des défis que représente le climat et de l’importance de l’agriculture régénératrice pour « mieux faire », raconte Paul Lum, lui-même farmer et Senior Agricultural Specialist à l’AFT. » L’AFT propose quelques financements pour encourager à effectuer une transition vers des pratiques agricoles plus durables. Mais surtout il conseille et aide les agriculteurs et agricultrices à obtenir des subventions déjà à disposition au niveau fédéral ou des états, en les informant et en les aidant à remplir des demandes. De nombreux programmes existent pour ceux qui veulent par exemple améliorer la qualité de leur sol en ajoutant du compost, en installant des cultures de couverture, réduisant le travail du sol, en améliorant leur système d’irrigation. « Il faut dire qu’ici traditionnellement, on trouve surtout des sols nus contenant très peu de matière organique, relève Paul Lum. Et il faut trouver des solutions car la plupart des exploitations se concentrent sur une ou quelques cultures et n’ont par exemple pas de bétail. Se fournir en compost peut être difficile et très coûteux ! » Pour accompagner cette transition écologique, l’AFT est très active dans la récolte et la transmission d’informations, que ce soit sous forme de séminaires ou de rencontres sur le terrain. L’un des outils d’information sont les études de cas concrets, ou case studies, avec la quantification des bénéfices économiques et environnementaux des sols sains. Ces études sont présentées de manière simple et compréhensible par tout le monde. Elles sont disponibles en ligne.

Un autre volet de l’action de l’AFT, qui est à la base de cette organisation depuis sa création, est la protection des terres cultivées. L’AFT met des fonds à disposition des propriétaires fonciers « contre la promesse de continuer l’activité agricole sur cette terre “pour toujours” », explique Paul Lum. Cela s’appelle « conservation easement » ou servitude de conservation qui empêche le développement de ces terres à d’autres fins, comme l’étalement des villes. La servitude est liée à la terre. Si l’exploitant change, le suivant est lui aussi lié à cette servitude. L’exploitant peut pratiquer une agriculture sans contrainte quant aux types de méthodes utilisées, de production ou de bétail. Il s’agit d’un versement unique, dont le montant ne correspond pas au prix actuel de l’exploitation, mais à la « valeur de développement », à savoir ce qui est nécessaire pour investir dans l’exploitation agricole et pérenniser son activité. « En fin de compte, on constate qu’avec des pratiques régénératrices, il y a toujours des avantages économiques, en réduisant nettement les coûts de production, rapporte Paul Lum, et cela il faut le communiquer pour inciter de nouvelles personnes à se lancer dans une agriculture plus résiliente. »

Réseau de petites exploitations familiales

Une association californienne a de nombreux points communs avec l’Association des petits paysans. Elle s’appelle Community Alliance with Family Farmers CAFF, ou alliance communautaire des familles paysannes. En parlant avec Sara Tiffany, directrice du programme « agriculture écologique » de la CAFF, on se rend vite compte celles et ceux que la CAFF considère des « family farmers » ressemblent aux « petits paysans » notre association. Leurs membres sont majoritairement des agricultrices et agriculteurs, mais certains sont des défenseurs d’une agriculture durable sans la pratiquer. La CAFF a été fondée en 1978 en Californie pour les petits agriculteur·trices pratiquant une agriculture durable, qui n’étaient pas soutenus ou représentés par d’autres organisations agricoles plus traditionnelles. Le travail de la CAFF pour soutenir les petits exploitants agricoles comprend à la fois un travail sur le terrain et un travail de plaidoyer politique.

Dans les années 1980, la CAFF a soutenu les victimes d’empoisonnement par les pesticides afin de rendre des lois plus strictes, publié un annuaire national bio pour favoriser les contacts entre producteurs et vendeurs. Dans les années 1990 elle a lancé le magazine « Farmer to Farmer » montrant les meilleures pratiques pour une agriculture durable. Dans les années 2000, elle s’est engagée entre autres pour les droits des travailleurs agricoles, la restriction de l’utilisation d’organismes génétiquement modifiés,  l’adoption de pratiques agricoles respectueuses du climat. La CAFF cherche à construire des systèmes agroalimentaires durables en favorisant la résilience des exploitations familiales, des communautés et des écosystèmes. Ses programmes visent à soutenir les exploitations familiales ainsi que les membres des communautés, les services d’alimentation, les écoliers et les populations à faible revenu, en misant sur la gestion écologique, la justice et l’équité, les solutions pratiques, l’écoute des paysans et paysannes, des prix équitables et des communautés locales fortes. Depuis 36 ans, la CAFF aide à organiser la California Small Farm Conference qui continue d’exister !

« L’organisation est née d’un activisme de la base, des paysans qui avaient une sensibilité particulière à leur environnement et faisaient de l’agriculture bio, déclare Sara Tiffany, mais on n’a jamais été considéré comme des radicaux. Nous acceptons tout le monde, certifié bio ou pas, nous allons à la rencontre les personnes telles qu’elles sont. Ce qui est important, c’est de savoir comment ils veulent pratiquer l’agriculture, quelles sont leurs pratiques qui les intéressent et pourquoi. Les immenses exploitations ne nous intéressent pas, mais on ne leur ferme pas la porte non plus. Si leurs convictions rejoignent les nôtres concernant la gestion écologique et que leurs intentions sont sincères, il est intéressant d’avoir quelques cas pour voir comment appliquer certaines pratiques à grande échelle, car quand cela marche, alors le levier est important et l’impact peut avoir une grande influence sur l’agriculture conventionnelle. » Les programmes de la CAFF sont une réponse aux préoccupations et aux besoins des agricultrices et agriculteurs qu’elle représente, par exemple comment connecter les producteurs à différents canaux de vente, tels des écoles ou certaines communautés, informer sur les différentes réglementations fédérales et de l’état de Californie et suivre leur évolution, mais aussi représenter leurs membres et faire entendre leurs voix à différents niveaux en politique. D’ailleurs, les membres reçoivent chaque année une sorte de questionnaire pour en savoir plus sur ce qu’ils souhaitent que la CAFF défende pour eux, quels sont leurs besoins, qu’est-ce qui les préoccupe, etc. C’est ainsi que des thèmes remontent jusqu’à la CAFF, ces dernières années en particulier liés au changement climatique, mais aussi sur l’agriculture écologique en général et la gestion des ravageurs.

Différents moyens sont mis en œuvre pour mener à bien la mission de la CAFF, et certains rejoignent ceux de l’AFT. D’ailleurs les deux organisations ne se voient pas comme des concurrents et échangent ou collaborent parfois au vu de leurs objectifs communs. La CAFF apporte entre autres choses une assistance technique afin d’aider des petits paysans, et en particulier à ceux qui ont été défavorisés au cours de l’histoire, à accéder aux programmes qui existent déjà, par exemple la subvention pour acheter du compost et l’utiliser sur les sols. Cela va du soutien à remplir la demande au suivi et mise en place afin d’optimiser les nouvelles pratiques sur l’exploitation. La CAFF génère de plus beaucoup de ressources, disponibles pour toutes et tous, sur la base ce que la CAFF apprend avec ce que font ses membres ou d’autres personnes, en les rendant accessibles à des personnes non universitaires. La plupart du temps ce sont des études de cas de petits paysans super innovateurs et la CAFF met en valeur leur histoire et les leçons à en tirer. Ces ressources sont sous forme écrite, mais la CAFF publie aussi de plus en plus de vidéos et de podcasts. Cela permet d’élargir leur public et surtout diffuser toujours plus loin les pratiques écologiques.

Le programme d’agriculture écologique de la CAFF a été mis en place en 2017 en tant que programme pour des pratiques « climate-smart », en constatant que de nouvelles subventions pour une agriculture plus respectueuse du climat allaient se développer, et que si certaines mesures éligibles pour ces subventions étaient simples, d’autres étaient nettement plus complexes. Il fallait donc mettre en place des essais sur le terrain, des rencontres, des démonstrations, de l’information directement pour les paysannes et paysans. Le programme a été étendu dès 2021 en « agriculture écologique » englobant d’autres pratiques. Dans ce cadre, la CAFF a par exemple mené des recherches d’alternatives aux pesticides de synthèse, intéressant autant des agriculteurs bio que des conventionnels dans la gestion des ravageurs. « Agriculture régénératrice, ou durable, ou écologique, ce sont des mots utilisés par des ONG ou des milieux académiques ou des décideurs politiques. Et les paysannes et paysans, ils font juste de l’agriculture ! », remarque Sara Tiffany. Ces recherches permettent de récolter des données, parfois également en collaboration avec UC ANR, et de continuer d’apprendre en permanence. La CAFF étant centrée sur les petits paysans, les journées sur le terrain ne sont pas là juste pour inviter une personne universitaire à réciter ses résultats aux agricultrices et agriculteurs et leur dire comment ils devraient cultiver. « Ces journées se déroulent sur la ferme d’un petit paysan qui partage ce qu’il fait, pourquoi, ce qu’il en a appris à des collègues qui sont plus ou moins avancé dans leur propre expérience, qu’ils pratiquent une agriculture écologique intégrée sur leurs terres depuis 25 ans ou qu’ils essaient de démarrer pour la première fois », confie Sara Tiffany. Ces échanges sont autant d’opportunités incroyables d’apprendre pour toutes et tous, pour elle y compris.

 

Photos: Community Alliance with Family Farmers CAFF

  • Auteure: Anne Berger

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