Changement climatique : l’État doit agir

L’association Avocat·e·s pour le climat est sur le point de porter plainte contre la Confédération au nom d’agriculteurs, d’agricultrices et d’associations, dont l’Association des petits paysans. La Confédération doit rendre compte de son inaction en matière de protection du climat. Une action collective autant sur le terrain juridique que politique.

Les événements climatiques extrêmes sont de plus en plus fréquents : gel tardif sur la vigne du Domaine de la Mermière (avril 2019), PHOTO: DOMAINE DE LA MERMIÈRE (GE)

La justice climatique est une notion à la fois politique et éthique pour des actions contre des états ou des entreprises. Elle va au-delà des aspects environnementaux et se base également sur desdroits fondamentaux de l’homme, dont notre droit à la vie et à la santé, puisqu’il n’existe pas (encore) de droit à la protection climatique en tant que tel. La Suisse a ratifié l’Accord de Paris, un instrument juridiquement contraignant. Elle s’est engagée entre autres à prendre des mesures de réduction des émissions des gaz à effet de serre et à orienter les flux financiers de manière favorable au climat. Or un rapport de l’Office fédéral de l’environnement déclare par exemple que les flux financiers actuels de la Suisse favorisent un réchauffement global de 4 et 6 °C plutôt que l’objectif prévu de 2 °C.

Les mesures efficaces sont connues, mais on tarde à les prendre. D’où l’éclosion d’actions en justice déposées pour action insuffisante contre le dérèglement climatique par des groupes de population particulièrement concernés et vulnérables. Il s’agit de demander un dédommagement pour préjudice subi et/ou l’arrêt des atteintes.

Collectif d’avocat·e·s pour une justice climatique

Plusieurs actions sont ou ont été portées devant la justice en Suisse en lien avec le changement climatique, comme celles des Aînées pour la protection du climat ou de jeunes manifestants. Des avocates et avocats ont décidé d’accompagner, de conseiller et de défendre les personnes impliquées quand la cause leur semblait juste. Mais une frustration s’est fait sentir : « On en avait assez de devoir toujours se défendre et on a eu envie de passer à l’attaque pour une cause de si haute importance », raconte Maître Arnaud Nussbaumer, l’un des fondateurs de l’association Avocat·e·s pour le climat. Recherchant des angles d’attaque pertinents, ils ont entre autres lancé un appel aux agriculteurs et agricultrices : si vous considérez être impacté·es par le changement climatique, nous sommes prêts à lancer une action en justice pour mettre la Confédération face à ses responsabilités. « Cette action contre la Confédération pour inaction climatique est certes une bouteille à la mer. Elle permettra pourtant de mesurer le degré d’inaction et d’entrave de nos autorités face au changement climatique », déclare Yves Batardon du Domaine de la Mermière, l’un des plaignants. Il existe deux précédents majeurs d’actions en justice du milieu agricole en Suisse. En Valais dans les années 1970, les producteurs d’abricots ont combattu les émissions de fluor nocives de l’industrie de l’aluminium. Lors de la crise de la vache folle des années 1990, des éleveurs ont déposé une demande de dommages et intérêts auprès de la Confédération en compensation des pertes subies.

Leviers d’action

Et pour le climat ? Une quinzaine d’agricultrices et agriculteurs attaquent désormais la Confédération pour la mettre face à ses responsabilités. « L’action comporte deux volets », explique Maître Arnaud Nussbaumer. « Le premier est l’action en responsabilité contre la Confédération afin d’obtenir des dommages et intérêts symboliques pour préjudices subis tels que des pertes de rendements ou la perte de valeur des terres. Le second consiste à exiger de faire cesser ces atteintes. » Ce deuxième volet ne permet pas d’obtenir de compensation pour de potentiels préjudices futurs, mais vise à agir sur la politique et les mesures mises en œuvre. L’enjeu sera de prouver que les plaignants sont concernés et d’établir les possibles dommages, puis de démontrer en quoi la Confédération est responsable. Pour chacune des personnes engagées dans cette action, une plainte sera rédigée et le cas sera traité individuellement. Un courrier sera envoyé fin mai à la Confédération pour l’informer de cette action collective. Chaque volet pourrait être redirigé vers un Département fédéral différent. Une fois la demande traitée par le Département compétent, le Conseil fédéral donnera sa réponse. D’ici là (probablement encore en 2023), tout paysan ou paysanne qui souhaite rejoindre l’action peut encore s’adresser auprès des Avocat·e·s pour le climat.

Patience et pression

L’expérience a montré qu’il n’est pas impossible que le Conseil fédéral accueille défavorablement la demande des paysans et paysannes. Il sera alors possible de saisir le pouvoir judiciaire et d’attaquer la décision au niveau du Tribunal administratif fédéral afin d’aller plaider les cas. L’instruction peut durer une année. Si le cas est à nouveau rejeté, le Tribunal fédéral peut alors être saisi pour une démarche pouvant elle aussi durer une année. Si la décision est encore négative, l’association des Avocat·e·s pour le climat est prête à soulever les griefs auprès de la Cour européenne des droits de l’homme. Une réponse positive et une reconnaissance de la Confédération sur sa propre responsabilité ne semblent pour le moment que peu probables. Cela n’est pas une raison pour ne rien faire. Chaque étape de la démarche sera prétexte à augmenter la pression médiatique et – espérons-le – politique. Le premier acte va se jouer lors de l’envoi du courrier de l’association des Avocat·e·s pour le climat à la Confédération. Tout au long du processus, les institutions suisses observeront également de près les actions judiciaires liées au climat dans l’Union européenne, comme l’audience publique des Aînées pour la protection du climat à la Cour européenne des droits de l’homme à Strasbourg, ou la plainte d’un paysan péruvien contre un géant allemand de l’énergie.

Chaque voix entendue, chaque cas présenté, chaque couverture médiatique compte pour faire bouger les lignes au niveau judiciaire jusqu’à ce que s’affiche enfin une sincère volonté politique de saisir à bras-le-corps la crise climatique.

  • Cet article est paru dans le numéro 2/2023 d’Agricultura. Auteure : Anne Berger

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